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Présentation au colloque des 100 ans de l'Heure Joyeuse : "Ouvrir le monde"

Dernière mise à jour : 17 mars

J'ai participé à ce passionnant colloque pour relater mon expérience de jurée de prix littéraires internationaux.

Rien ne se perd, tout se transforme : je partage le contenu, ainsi que les titres des albums que j'ai fait passer dans le public !

(les pépites qui ont circulé 8))
(les pépites qui ont circulé 8))

En 2024 j’ai été jurée du prix Golden Pinwheel, remis en novembre à la Foire du livre jeunesse de Shanghai et du prix Hans Christian Andersen, révélé à la Foire de Bologne en avril.


J’ai gardé quelques souvenirs de mes aventures et je voudrais introduire mon propos en vous présentant The earth passport (Le passeport de la Terre). C’est un leporello que m’a offert Yukiko Hiromatsu, autrice pour la jeunesse, critique littéraire, membre d’IBBY au Japon et jurée du prix Golden Pinwheel.


Ce dépliant touristique international édité par BL Publishing, propose à l’enfant de traverser les pays de 20 artistes.

C’est un livre objet qui commence par un message, je cite : « Les artistes de la Terre demandent à tous ceux que cela concerne de laisser le porteur, enfant de la Terre, passer librement et sans entrave et, en cas de besoin, de lui apporter toute l'aide et la protection possibles*. »


Ça m’a fait penser à ce qu’a écrit Elzbieta en introduction de L’Enfance de l’art : « L’enfant et l’artiste habitent le même pays. C’est une contrée sans frontière. »

Quand on est jurée, pourtant, pour échanger sur cette littérature jeunesse, on en rencontre beaucoup des frontières : celle de nos propres valeurs, du cadre géopolitique dans lequel on a grandi, de notre sensibilité esthétique, de notre culture, de la philosophie et des arts qui l’ont porté.

Une autre frontière, c’est celle de la langue quand on lit des textes pour la jeunesse (d’où le rôle fondamental des traductrices et traducteurs littéraire, à défendre aujourd’hui).


La frontière de la langue, on la rencontre aussi quand on veut s’exprimer dans un contexte international. Prenons par exemple le Prix Golden Pinwheel.

Nous étions cinq jurés, dont deux chinoises qui avaient des interprètes en anglais - Xiao Aozi (artiste et professeur en école d’art ), et Yao Hong, qui enseigne à l’université de Nanjing.

Il y avait aussi Yukiko Hiromatsu, qui parlait anglais et Jon Klassen - qui est finalement celui qui a eu le moins de mal à trouver ses mots puisqu’il est canadien et qu’il vit à Los Angeles.


Pour terminer avec cette histoire de frontière, il y en a une aussi qu’on va rencontrer par exemple dans ce jury, c’est celle de notre bulle professionnelle : médiatrice, chercheuse, artiste, éditrice, nous ne sommes pas forcément attentifs aux mêmes choses dans un livre pour enfants. La complexité du dialogue tient donc à la fois des échanges interculturels, mais aussi de leur dimension interprofessionnelle.


Parlons un peu du fonctionnement du prix : Golden Pinwheel a été créé en 2015, en partenariat avec la Foire de Bologne, avec un système calqué sur les Raggazzi Awards.

C’est un prix auquel peuvent participer librement les jeunes entre 16 et 39 ans, publiés ou non, et les candidatures proviennent du monde entier.

Le prix est directement associé à la foire du livre de Shanghai, où se négocient les droits et où les échanges interprofessionnels se font. Et les objectifs et les modalités sont alignés avec cette idée. Je cite « Golden Pinwheel a pour objectif de créer des ponts entre les artistes et les éditeurs, les marques et les annonceurs pour la jeunesse, tant au niveau local qu'au niveau mondial. »

Ainsi à l’issue de notre travail de jurés, les illustrations et les coordonnées des 50 finalistes sont diffusées – un peu comme des portfolios, dans l’idée de faire connaître les artistes aux éditeurs :

- sur le site du Prix,

- via une exposition à l’entrée de la Foire de Shanghai – qui devient ensuite itinérante

- et dans un catalogue d’expo.


Voici quelques données sur les participations cette année :

En tant que jury, il a fallu dans un premier temps faire passer un corpus de 2050 dossiers à une sélection de 50 artistes. Et cette étape de sélection s’est déroulé en ligne, pendant un mois, de juin à juillet dernier.

Chaque artiste envoie 5 illustrations autour d’un même thème, ainsi qu'un petit texte explicatif de 4-5 phrases. Les participations à ce stade sont anonymisées : nous n’avions pas accès ni au nom, ni à la nationalité des candidats – même si j’ai reconnu certains titres édités.

Reconnaitrez-vous celui-ci par exemple, qui a été finaliste cette année ?

Il s'agit des illustrations de Jean Mallard, auteur du très bel album Les yeux de la forêt chez Actes Sud (2022) !


Pour illustrer mon propos sur les frontières, je vous montre ici une autre série d’illustrations qui a été finaliste et pour laquelle je n'avais pas forcément d’affinité, parce qu’il me manquait un niveau de lecture :

Dans certains pays d’Asie, des enfants sont discriminés pour leurs taches de rousseur, l’illustration prend ce fait social à contrepied. Cette dimension a été perçue et expliquée par nos jurées chinoises et japonaise - d'où l'importante d'une expertise internationale ! (ce n'est qu'un petit exemple parmi pléthore)


La suite se passe à Shanghai, juste avant le début de la foire.

On se retrouve physiquement pendant une matinée, pour choisir parmi les 50 finalistes dont on peut enfin découvrir les illustrations en grand. On va sélectionner une lauréate internationale et une lauréate chinoise, ainsi que 3 mentions, à découvrir ICI.

Le lauréat chinois se voit offrir un voyage à la foire de Bologne et le lauréat international se voit offrir un voyage à la foire de Shanghai. On est toujours dans l’esprit Foire du livre : ces jeunes artistes rencontrent des éditeurs, animent des masterclass et participent à des tables rondes.


Lors de mon voyage à Shanghai, j’ai ainsi rencontré une jeune artiste Suisse, Maeva Rubli, lauréate du Prix Golden Pinwheel 2023.

Pour préparer mon intervention aujourd’hui, je lui ai demandé l’impact de ce séjour et de ce Prix dans son parcours.

Voici des extraits de sa réponse :

« Après avoir été à la foire à Shanghai, j'ai l'impression d'avoir une meilleure compréhension du marché international.

Sur place, j'ai fait des rencontres professionnelles très inspirantes, qui m'ont ouvert des portes qui sont parfois très difficiles à ouvrir en tant qu'illustratrice (je pense par exemple aux longues files d'attentes pour présenter des projets...). Le prix donne une crédibilité et une reconnaissance au travail. J'ai des contacts vers qui je peux montrer des projets futurs ou en cours.


Ça a été très intéressant de parler avec des maisons d'édition chinoises pour comprendre leur stratégie. J'ai reçu des opportunités de mandats pour des livres, mais les conditions n'étaient pas favorables. J'ai préféré prioriser mes projets personnels. »


Le prix Golden Pinwheel récompense des artistes au début de leur carrière et je boucle la boucle en vous parlant à présent du prix Hans Christian Andersen.

Ce « petit prix nobel de la littérature pour la jeunesse » récompense tous les deux ans un ou une autrice et un ou une artiste qui ont une œuvre remarquable et dont on célèbre les parcours.

D’immenses noms de la littérature pour la jeunesse y ont été reconnus. Dont Susie Lee et Marie Aude Murail en 2022, alors que Viviane Ezratti était membre du jury, quelle aventure ! Et Sydney Smith et Heinz Janisch en 2024. Et j’étais jurée de cette session.


Pour vraiment comprendre les coulisses du travail de juré, je vous recommande de lire l’article très complet de Viviane paru dans la revue des livres pour enfants n° 314.

Et pour comprendre l’impact du prix sur les vies des artistes, vous pouvez lire les traductions françaises de leurs discours sur le site de Takam Tikou : ICI pour Sydney Smith et ICI pour Heinz Janisch.

Je ne vais donc pas parler de ce que j’ai fait en tant que jurée - c’est un travail d’un an de lectures et d’échanges - parce qu’il y a déjà matière sur le sujet. Je vous enjoins tout de même à aller voir la liste de recommandation de 20 ouvrages qu’on aimerait voir traduits, proposée par le jury en 2024. Je vous incite aussi à prêter attention aux short lists : autrement dit, à l’ensemble des finalistes qui sont communiqués avant le vote final, parce que cette liste est la plus représentative des choix de l’ensemble des jurés. Et en dernier lieu, je vous enjoins à découvrir les contes féministes tissés par la finaliste italiano-brésilienne Marina Colasanti. Ce sont de beaux textes. L’autrice est décédée en janvier dernier et je voulais lui rendre hommage.


Je vais plutôt donner voix à d’autres personnes que moi, pour vous parler de l’évolution des critères d’un prix littéraire prestigieux, et ce qu’induit la discussion entre des jurés qui viennent de différents horizons culturels et géographiques.


J’ai posé quelques questions à Liz Page, qui était la présidente du jury 2024 et je vous livre seulement des extraits traduits faute de temps. Elle explique :


"Je pense que les prix tels que Hans Christian Andersen, le Bologna Ragazzi Awards et l'ALMA (le prix Astrid Lindgren), ainsi que de nombreux prix régionaux et nationaux, ont permis aux littératures pour enfants et adolescents d'être acceptés comme des genres légitimes et de ne plus être considérés comme des « niches ».

La littérature pour enfants a évolué en même temps que la société. Il faut cependant reconnaître que les sociétés n'ont pas changé partout de la même manière. Certaines cultures ont une longue histoire de littérature enfantine, tandis que d'autres émergent à peine en tant que nations éditrices, bien qu'elles aient une longue et riche tradition de contes oraux.


Le monde de la littérature enfantine n'est pas homogène, mais tout y est vivifiant.


Les critères d'évaluation du prix ont été constamment mis à jour pour refléter le monde contemporain. Lorsque le prix Andersen a été créé en 1956, il n'était décerné qu'à un seul livre et l'exigence était que la nomination soit « un bon livre ».

Quelques années plus tard, les critères du prix ont été modifiés pour inclure l'ensemble de l'œuvre de l'auteur.

Puis, en 1966, un prix distinct a été créé pour les illustrateurs.

L'un des critères les plus constants est que l'auteur ou l'illustrateur ait apporté une contribution durable à la littérature pour enfants. Avant chaque réunion du jury, les critères sont réexaminés et mis à jour par le jury actuel. Les aspects littéraires et artistiques de toutes les œuvres soumises sont notamment des éléments importants à prendre en compte.

[…]

Les critères se sont plutôt élargis au fil des ans. L'accent est désormais mis sur le lecteur et sur la manière dont la littérature peut développer la curiosité et l'imagination d'un enfant. Je pense que c'est l'un des principaux ajouts qui ont été introduits au fil des ans."


J’ai aussi posé des questions à Fengxia Tan, chercheuse à l’université de Nanjing et jurée du Prix Hans Christian Andersen.

Et elle m’a écrit une lettre très intéressante sur ce qui rapproche et éloigne les membres d’un jury international. Je vais à nouveau citer un extrait traduit, en me concentrant sur ce qui nous éloigne:


"Les différences, je pense, peuvent être liées à nos contextes culturels et à nos propres goûts esthétiques. L'occidentalisme ou l'eurocentrisme se reflète depuis longtemps dans de nombreux aspects des échanges culturels mondiaux, mais nous nous efforçons de promouvoir l'égalité et la diversité.

Cependant, notre manque de compréhension de la culture nationale de certains pays nous empêche de comprendre et d'apprécier en profondeur les œuvres de ces régions.

En outre, l'importance que nous accordons à certaines caractéristiques de la littérature pour enfants conduit également à des choix différents : par exemple, certains attachent de l'importance à l'humour, d'autres à la profondeur ou à d'autres qualités.

Ces différences ont toutefois enrichi nos discussions et nous ont aidés à apprécier la diversité des voix qui s'expriment dans la littérature pour enfants.


L'ouverture d'esprit est notre objectif. Nous devons embrasser des cultures et des œuvres différentes, intéressantes et significatives, et célébrer des histoires qui reflètent la richesse de notre monde. Je pense que le prix HCA joue un rôle essentiel dans la promotion de cet échange."

Je voudrais conclure en revenant sur l’idée de frontières que j’ai convoqué au début de ma présentation.

Je travaille actuellement sur les ados, la littérature et les intelligences artificielles. En relisant La Vallée du Silicium de Damasio, j’ai trouvé un passage que j’ai envie de partager :

« J’aime les sociétés qui fabriquent des ponts – pas des murs. La formule est facile ? Elle pose bien la difficulté pourtant : faire un pont exige de l’art, une mise à niveau des berges, l’enjambement d’un fleuve, des piliers qu’on construit, des culées, des arcs et des câbles intelligemment tendus. Faire un mur demande juste des briques. »


Je conclurai là-dessus : continuons à bâtir des ponts.

À vos casques de chantier !

*les traductions en français sont de mon fait, pardonnez-moi les maladresses...

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